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Peter Herrmann. Stuttgart, 1994 |
La conception de l'exposition AROUND AND AROUND. |
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Nous, les galeristes Achim Kubinski et Peter Herrmann, avons décidé d'organiser notre première exposition commune en 1994. Il s'agissait d'une présentation expérimentale ayant pour thème la confrontation esthétique entre des créations d'artistes contemporains occidentaux et des oeuvres traditionnelles africaines que nous avons montrée dans la Galerie Achim Kubinski à Stuttgart. Le grand intérêt qu'elle a suscité, nous a incité à continuer sur cette voie et à nous éloigner toujours plus des chemins traditionnels des expositions d'art. On nous a adressé tout de suite un certain nombre de demandes pour reprendre cette exposition et nous avons décidé de répondre tout d'abord à une invitation du Caméroun.
A l'occasion du congrès constitutif de l'organisation panafricaine UNAFAS dans ce pays, les hommes politiques ont décidé de s'occuper d'une plus grande intégration des questions culturelles. Leur but était aussi de faire avancer sur le continent africain la prise de conscience du phénomène de mondialisation. Le Ministère de la Culture du Caméroun a répondu à cette attente en nous invitant à organiser une exposition qui soit en relation avec ce thème. Peu après, le Ministère des affaires étrangères d'Allemagne a décidé de soutenir financièrement la réalisation de cette exposition de grande envergure intitulée Around & Around.
Pour nous, il était de première importance qu'une telle exposition ait lieu à un endroit ne faisant pas partie des grands axes culturels classiques, car l'idée d'une décentralisation culturelle nous tient à coeur et c'est aussi l' idée qui a motivé le Caméroun. Une coopération très efficiente s'est amorcée avec le Centre Culturel Doual'art et nous avons choisi les locaux que celui-ci a pu mettre à notre disposition pour la présentation. L'ancienne Pagode qui a servi de palais au roi Douala Manga Bell est un des plus beaux exemples de l'architecture coloniale et, par son importance historique, il se prête à merveille pour remettre en mémoire les différentes phases des relations entre le Caméroun et l'Allemagne. C'est une des raison pour laquelle nous avons pu bénéficier du soutien intégral et enthousiaste du Consulat d'Allemangne de Douala. Un certain nombre d'entreprises locales telles que African Security et Omega Transport nous ont offert un sponsoring. C'est grâce à ces constellations particulièrement favorables que notre projet Around & Around a pu être mené avec succès.
Nous avons développé la conception artistique de l'exposition pendant une période de deux ans. Après une pratique de 25 ans dans l'art occidental contemporain, Achim Kubinski était attiré par l'idée de pouvoir élargir l'éventail de ses activités en y intégrant un art traditionnel de réputation mondiale. La coopération avec Peter Herrmann dont le champ d'activité s'étend du domaine de la tradition africaine à celui de l'art contemporain de ce continent, a pu ainsi lui ouvrir de nouveaux horizons artistiques. Pour un tel projet, recourir à la tradition artistique africaine peut d'abord sembler être une prise de position conservatrice. Mais le fait d'intégrer un groupe d'artistes africains contemporains de renom à l'exposition représente une orientation explicite vers l'avenir. Ce projet a attiré l'attention de nombreux artistes occidentaux qui jusqu'à ce jour n'avaient pas pris en considération la production artistique africaine. La qualité et le renom des artistes occidentaux qu'Achim Kubinski a pu gagner pour le projet, sont une preuve suffisante de son importance.
Les thèmes fondamentaux de l'exposition résultent directement de nos champs d'activité individuels et communs, à savoir les relations artistiques qui existent et qui pourraient s'affermir entre l'Afrique noire, l'Amérique du Nord et l'Europe. Un autre fondement de la conception de l'exposition est sa dynamique interne, à savoir la possibilité d'intégrer de nouveaux artistes selon les lieux d'exposition. Cette présentation en mutation permanente pourrait ainsi parcourir le monde et tenir compte des différentes facettes d'une activité artistique intercontinentale en devenir.
Nous avons choisi un groupe d'artistes contemporains occidentaux dont la production ne relève pas de l'art figuratif, mais dont l'approche est conceptionelle. Dans certains cas, ceux-ci sont déjà en coopération directe avec des artistes africains contemporains. Les pièces de musée d'art africain traditionnel que nous avons intégrées à l'exposition, ont été choisies en raison de leur valeur esthétique exceptionnelle.
Tous les artistes impliqués ont réagi avec enthousiasme à ce projet, car chacun d'eux a ressenti que le fait d'être exposé avec des objets de la grande tradition africaine représentait un grand enrichissement pour leurs oeuvres. Ce point de départ nouveau a fait aussi que les différences de renom entre les artistes contemporains ne représentent aucun problème. Pour la présentation à Douala, nous nous sommes décidés pour une parité numérique entre les artistes africains et les artistes occidentaux. Pour les deux groupes, nous avons choisi des artistes de réputation mondiale ainsi que certains qui sont sur le point de le devenir.
Il existe une autre dimension qui est la base même de l'exposition Around &Around. Sa conception reflète d'une certaine manière nos propres reflexions théoriques sur les relations artistiques entre ces différents continents. Nous sommes persuadés que nous entrons dans la quatrième phase de l'évolution historique de ces relations dont nous allons d'abord présenter de manière très succinte les trois premières phases.
La première phase est marquée par l'ouverture et l'aspiration de l'artiste occidental à l'exotisme et à l'aura mythique du "bon sauvage", phase pour laquelle l'oeuvre de Paul Gaugin est caractéristique. La deuxième phase implique la découverte des valeurs formelles de l'art traditionnel africain et océanique et du principe d'abstration inhérent à cet art: le représentant le plus connu de cette phase est Picasso. La troisième phase est caractérisée par la rencontre de l'occident avec le principe spirituel et magique du chamanisme, à savoir la source et le fondement même de ces arts premiers, un principe qu'un artiste comme Joseph Beuys a repris à son compte.
Il n'y pas encore d'artiste qui puisse représenter la quatrième phase que nous pensons pouvoir observer actuellement, car celle-ci ne se trouve qu'à ses débuts. Mais c'est là qu'une exposition telle que Around & Around pourrait contribuer à l'interprétation de cette nouvelle période. Pour nous, l'évolution récente de l'histoire culturelle africaine est un bon exemple et un moyen d'approche de cette phase. Pendant très longtemps, il n'y a pas eu d'art africain contemporain qui ait attiré l'attention d'un public averti. On ne trouvait que des productions réalisées dans des styles assez traditionnels et ayant un caractère imitatif certain. Ces exemples semblaient confirmer le sentiment d'une lente agonie de l'expression plastique de ce continent et de son flagrant retard par rapport à la production artistique occidentale. Mais aujourd'hui, cette situation a changé de fond en comble. Toujours plus de créateurs africains font leur apparition sur la scène internationale et frappent par leur moyens artistiques profondement originaux. Ces artistes ont developpés des langages plastiques très personnels indépendamment des courants occidentaux. Ils ont gardé leurs racines philosophiques en Afrique même s'ils choisissent des moyens d'expression, des formes et des matériaux qui ne sont plus typiques pour la tradition de ce continent. Les artistes africains auxquels l'occident a prêté son attention pendant les trois premières phases, sont restés anonymes et leur travail était l'expression de leurs ethnies et de leurs cultures respectives repliées sur elles-mêmes et protégées des influences extérieures. Les artistes africains de la quatrième phase se présentent au contraire comme étant des individualités artistiques indépendantes et reconnues et ils sont fortement marqués par la culture urbaine cosmopolite et hybride qui se répand de plus en plus sur ce continent. Ces artistes donnent à voir une vision différente du monde et de l'art et remettent en question notre conception de l'art purement centrée sur le monde occidental.
De nombreux créateurs dans tous les domaines artistiques revendiquent depuis longtemps que l'on abandonne enfin les modalités de pensée centrées sur l'occident en vue d'une philosophie plus globale. L'économie et la politique semblent tenir compte toujours plus des données nouvelles relevant de ce phénomène de mondialisation. Ce développement est maintenant clairement reconnaissable dans les domaines de la littérature et de la musique. Enfin, il semble s'amorcer également dans les arts plastiques et c'est justement de cette situation que nous, en tant qu'organisateurs, voulions tenir compte dans la conception d'Around & Around.
On a considéré l'art africain traditionnel, en particulier celui du 19e siècle, surtout par le biais de sa paternité romantisée à l'art moderne occidental. Par contre, on a présenté la création contemporaine de ce continent le plus souvent dans un contexte purement ethnologique. Around &.Around essaie d'aller à l'encontre de ces clichés. Elle met en oeuvre une juxtaposition expérimentale des créations africaines et occidentales, c'est-à-dire elle les présente à égale dignité et sans ségrégation spatiale. Cette approche postmoderne refusant l'illustration d'une idéologie veut permettre un regard nouveau sur les différentes approches esthétiques de ces cultures et de ces époques.
La dynamique interne dans la conception de l'exposition reflète le processus de transformation permanente dans le paysage artistique. En même temps l'exposition respecte les valeurs de la tradition, elle a recours au passé pour y puiser des critères de qualité. Cette tradition représente un point de départ qui permet de nous tourner vers le futur et de rendre justice aux langages esthétiques très individuels des artistes contenporains de provenance diverse. Nous ne cherchons pas à établir trop hâtivement des filiations ou des affinitées entre ces différentes oeuvres et ces différents artistes. Car ce sont justement les contrastes ou même les contradictions qui favorisent la naissance de tensions esthétiques nouvelles et inattendues. On pourrait citer comme exemple l'interaction subtile entre des oeuvres comme Volume de Joseph Kosuth, Nigerian Woman Shopping de Sokari Douglas-Camp et la céramique de Lawson Oyekan. La sobriété architecturale d'un espace en quatre couleurs réalisé par Günter Förg intègre parfaitement la figure divinatoire regardant aux quatre coins cardinaux créée par un artiste traditionnel anomyme du peuple Ejagham au Caméroun. La forme de stèle de cette dernière correspond à son tour à une colonne de Heimo Zobernig dont la réduction formelle clot le cercle formé par ces créations en lui donnant un contenu inattendu. La rencontre dans un même espace de ces différentes oeuvres représente un des sommet de l'exposition.
Pietro Sanguineti, déjà présent à l'exposition avec une installation vidéo, s'est plongé dans les quartiers populaires de Douala avec 14 images extraites de bandes dessinées pour les faire reproduire et agrandir en acrylique sur support de bois par des peintres d'enseignes locaux. Sanguineti a mis en oeuvre un processus symbolique analogue à celui qui a eu lieu pendant une action artistique en Grèce. A l'ocasion de celle-ci, le peintre Michel Würthle a réalisé un portrait de son collègue Martin Kippenberger tandis que Cheri Samba y a ajouté son commentaire pictural. C'est justement ce tableau que nous avons montré au Caméroun.
Il y encore un autre fait qui mérite d'être nommé. Grâce au degré de renommée internationale des artistes et des créations présentés, cette exposition est l'une des plus importantes sur le thème de l'esthétique interculturelle qui ait eu lieu en Afrique noire. De plus, le retour en Afrique de diverses pièces traditionelles en provenance de musées et de collections d'Europe représente aussi un fait nouveau à notre connaissance. Certaines oeuvres ont bien sûr toujours pu retourner dans leur pays d'origine, mais Around & Around a consciemment emmené au Cameroun des pièces provenance d'autres pays africains.
Une personne connaissant les difficultés liées à l'organisation d'une exposition en Europe peut imaginer l'énorme travail de logistique que représente une présentation artistique à Douala au Cameroun. Ce pays, appelé il y a dix ans encore la Suisse africaine, souffre actuellement d'une récession économique sans précédent. Le secteur culturel est bien sûr un des premiers touchés par une telle crise. Comme dans d'autres pays africains, l'activité culturelle se réduit presque exclusivement aux efforts des quelques centres culturels installés par certains pays européens. Nous pouvons nommer ici en premier lieu le Centre Culturel Français et le Goethe Institut Allemand. Comme ces institutions sont d'abord chargées de représenter la culture de leur propre pays, leur liberté d'action est forcement soumise à certaines réductions. C'est pourquoi les représentants de ces institutions ont montré un grand enthousiasme envers notre exposition, car, vu le vacuum culturel existant actuellement, ils l'ont ressentie comme un complément important et nécessaire à leur propre travail.
Peter Herrmann. Stuttgart, 1994
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Liste des artists
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En résumé, nous pouvons dire que l'exposition de Douala a attiré un plus grand nombre de visiteurs que celles organisées par des institutions officielles. En vue de pouvoir organiser d'autres expositions Around & Around, nous aimerions soumettre à de futurs sponsor, nouvelles institutions culturelles ou entreprises, ayant le désir de soutenir la poursuite de cette aventure artistique originale, de nouvelles propositions telles que la création d'un catalogue d'exposition et la mise en place d'un CD-Rom.
Jusqu'à présent nous avons eu des demandes en provenance de sept pays et nous sommes en train d'examiner les possibilités de réalisation. Nous serions très reconnaissants d'obtenir de nouvelles propositions. |
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Transport from the Airport to the Pagode Douala
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LA GALERIE ACHIM KUBINSKI
ET
LA GALERIE PETER HERRMANN
Achim Kubinski a ouvert sa galerie et l'école de beaux arts affiliée à celle-ci en 1976 à Stuttgart. Il en est issu un groupe d'artistes, "Family", qui a été invité dans différentes galeries, foires et musées en Allemagne et aux États Unis (1977-79). En 1979, Kubinski obtient le prix artistique de la jeunesse et le groupe se sépare.
Dès 1980, il représente un certain nombre d'artistes importants des années 60 (Joseph Kosuth, Franz Erhard Walther, et plus tard Imi Knoebel) et continue parallèlement son travail de recherche avec de jeunes talents (Günther Förg, Martin Kippenberger, plus tard Clegg&Guttmann, Heimo Zobernig, Christiane Richter etc..). En même temps, il enseigne l'histoire de l'art moderne à l'université de Würzburg de 1980 à 1985.
1989-93 il installe la dépendance Kubinski Köln et, depuis 1992, il mène aussi la Kubinski Gallery inc., New York. La Galerie Kubinski est représentée à de nombreuses foires internationales d'art.
La Galerie Peter Herrmann a été créée en 1989 à Stuttgart. Son programme d'exposition s'occupe surtout du domaine de l'art africain traditionnel et contemporain. Peter Herrmann présente au public ces deux sujets lors d'expositions dans sa propre galerie, mais aussi dans d'autres galeries et des musées internationaux La galerie dispose d'objets d'art africain traditionnel de très grande valeur.
L'art africain contemporain est représenté d'une part par de jeunes talents, d'autre part par un groupe de créateurs ayant déjà une renommée internationale tels que Kwesi Owusu-Ankomah, Lawson Oyekan et Aboudramane. Peter Herrmann explore depuis vingt ans le domaine de l'art africain traditionnel et contemporain. Un séjour de dix ans en Afrique Occidentale et Centrale lui a permis d'approfondir son savoir sur l'histoire de la culture et sur l'évolution de ce continent.
La galerie Peter Herrmann a été chargée d'organiser une exposition d'art par le Ministère de la Culture du Cameroun et le comité exécutif de l'UNAFAS. L'organisation de cette exposition se fait en coopération avec la Galerie Achim Kubinski. |
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Les organisations et les artistes participants au projet
Les Organisations
Ministère des Affaires étrangères, Bonn
Institut pour les relations culturell internationales, ifa, Stuttgart
Kunstverein Galerie im Hinterhaus, Wiesbaden
Transport Omega, Douala
Espace Doual'Art, Douala
Ministère de la Culture, Yaounde
United Africa Association, Yaounde
African Security, Douala
Galerie Achim Kubinski, Stuttgart/Berlin
Galerie Peter Herrmann, Stuttgart
Artistes
Aboudramane
Greg Bogin
Pia Dehne
Sokari Douglas Camp
Danièle Diwouta-Kotto
Günther Förg
Oliver Fromm
Glegg & Guttmann
Nicole Guiraud
Martin Kippenberger
Imi Knoebel
Joseph Kosuth
Moshekwa Langa
Richard Merkle
Markus Oehlen
Owusu-Ankomah
Lawson Oyekan
Edouard Prulhiere
Tobias Rehberger
Alfredo Romano
Chéri Samba
Pietro Sanguineti
Haim Steinbach
Nzante Spee
Pascal Marthine Tayou
Barthélémy Toguo
Michel Würthle
Heimo Zobernig
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